L'Alpha et l'Oméga

Publié le par Ape47

L'Alpha et l'Oméga

J'ai longtemps pensé que le premier album des Stone Roses avait été l'acte fondateur de mon individuation. En réalité, c'est simplement en eux que s'est cristallisée ma personnalité musicale adolescente, à une époque où l'Homme a besoin de repères lui permettant de se démarquer, de s'individualiser. Alors que certains collaient des patchs d'Iron Maiden sur leur débardeur en jean, je laissai quant à moi pousser mes cheveux devant les yeux en adoptant une démarche de boxeur à la cool. Je ne renie cependant rien. The Stone Roses est un album sensationnel qui reste pour moi un des grands disques de la fin du siècle dernier, mon premier album "à moi tout seul". Quoiqu'il en soit, cela n'a plus guère d'importance. Je sais aujourd'hui que l'ego est une sinistre illusion à l'origine de bien des maux en même temps qu'un passage quasi obligé de nos vies occidentales, et le simple fait d'utiliser ici le "je" est un mensonge. Bref ! Tout ceci est un prétexte à parler de de Steve Miller.

En effet, si je ne devais retenir qu'un seul artiste de ma vie de mélomane, ce serait peut-être Steve Miller. C'est avec lui qu'elle a commencée. Alors autant vous dire qu'il ne vous faudra pas s'attendre à des masses d'objectivité de ma part...

Je ne me souviens plus du jour précis où j'ai posé les oreilles sur sa musique pour la première fois tant il fait aujourd'hui partie intégrante de moi. Je devais probablement avoir dans les 7 ou 8 ans. Mon grand frère et moi avions l'habitude de passer des heures entières à écouter de la musique. Une bonne partie de l'après-midi, il me faisait découvrir les perles de sa discothèque, dont Steve Miller Band. Je garde ainsi un souvenir ému de ces longues journées ensoleillées où je dévorais la collection de Rahan, de l'Echo des Savanes, de Rock'N'Folk ou de Starfix de mon frère aux rythmes chaloupés de l'album Abracadabra. Je me souviens aussi de ce cours de musique au collège (j'étais alors en classe de cinquième) qui s'était achevé par un grand moment de solitude. A cette époque, notre professeure avait l'habitude de terminer son cours par un morceau de musique que chaque élève devait présenter. J'avais pour ma part choisi Jet Airliner. La réaction de la classe fut quasi unanime : moqueries et railleries n'ont pas manquées de fuser à mon endroit. A compter de ce jour, je décidai de garder Steve Miller pour moi comme un trésor, un lieu sacré où je venais seul me ressourcer. Au fil du temps, un lien intime s'est ainsi créer entre lui et moi.

Les morceaux de ce groupe sont devenus la bande-son de ma vie. Ils ont imprimé leur rythme à mon existence comme on grave un cœur dans l'écorce d'un arbre. Ce groove cool, cette énergie solaire, ces lumineux refrains aux rythmes élastiques... C'est là dessus que mon être s'est calé.

Bien sûr, l'homme a produit des déchets. L'album Abracadabra lui-même n'est pas exempt de lourdeurs avec ses affreux claviers synthétiques qui n'épargnèrent pas même les plus grands à l'époque, même Neil Young (il suffit d'écouter l'éreintant Landing On Water pour s'en convaincre). Sa musique est propre, carrée, sans bavure. Un gros son à l'américaine, très pro. Mais je suis le seul à pouvoir le dire. Quiconque viendrait à dire du mal de Stevie risquerait de voir se déchainer sur lui le bras de ma vengeance.

Internet m'a permis d'explorer le passé de Steve Miller et de découvrir de grands disques, dont Number 5 ou Brave New World. Et bien entendu The Joker, tube parmi les tubes. Je réalise combien je lui ai emprunté inconsciemment. Longtemps, j'ai moi-même été un joker. I'm a joker, I'm a picker, i'm a sinner, I'm a smoker, I'm a midnight toker, I sure don't want to hurt no one... Je garde en moi cette petite philosophie de la vie et de la nuit. Je continue à fuir le mal plus que toute autre chose. Je pourrais faire des milliers de kilomètres pour cela, en écoutant Jet Airliner, Heart Like A Wheel, Lucky Man, Heal On Your Heart, Tokin's, Going To Mexico, Space Cowboy, True Fine Love dont l'irrésistible refrain comporte sans doute le Ho Yeah le mieux posé de la galaxie, et combien d'autres ? Mais chaque chanson se suffit à elle seule, évoquant un univers où la coolitude est élevée au rang d'art de vivre. L'un des derniers albums en date, Bingo! sorti en 2010, ne déroge pas à la règle. Introduit par l'élastique Hey Yeah (au passage très proche de ce qu'à pu faire Ian Brown sur son album Solarized), il contient en outre une reprise de You Got Me Dizzy de Jimmy Reed qui lui aussi en connaissait un rayon en matière de coolitude.

Encore un dernier souvenir, celui où j'ai enregistré une cassette audio comprenant sur une face une compilation maison de ses meilleurs titres, et sur l'autre 45 minutes exclusivement consacrées à Jet Airliner. Les constructeurs ventent aujourd'hui les mérites des voitures nouvelle génération capables de faire plus de 1000 kilomètres avec un plein. Avec Jet Airliner, c'est une traversée complète des Etats-Unis qui est proposée, et sans écotaxe !

Terminons ce "papier" par un scandale : dans la version originale de Jet Airliner, une phrase dit And I'm goin' with some hesitation, You know that I can surely see That I don't want to get caught up in any of that Funky shit goin' down in the city. Le Funky Shit est remplacé sur la compilation The Greatest Hits 1974-78 par un prude Funky Kicks... Bloody Hell !

Pour une discographie complète, se reporter à l'excellent site Discogs : http://www.discogs.com/artist/29815-Steve-Miller-Band

Publié dans Une simple histoire

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